“ Ribera livre ici une interprétation totalement allégorique du savoir.
Loin des représentations stéréotypées des grands penseurs de l’Antiquité,
avec leur barbe blanche et leur noble apparence,
l’artiste préfère représenter un vieil homme ridé, vêtu de guenilles pour incarner la connaissance.“
Stéphane Pinta, expert en au cabinet Turquin
Une représentation allégorique du SavoirDes feuilles noircies de schémas et de figures géométriques apparaissent dans les mains du personnage posées sur l’entablement devant lui. Ces écritures lui confèrent une dimension savante, de philosophe ou de géomètre. Au début du XVII
e à Rome, les représentations des penseurs de l’Antiquité étaient particulièrement recherchées. Les collectionneurs exposaient ces figures savantes dans leur cabinet d’amateur. « Nous pensons éventuellement au mathématicien Archimède, mais Ribera livre ici une interprétation totalement allégorique du Savoir. Loin des représentations stéréotypées des grands penseurs de l’Antiquité, avec leur barbe blanche et leur noble apparence, l’artiste préfère figurer un vieil homme ridé, vêtu de guenilles pour incarner la connaissance. Une provocation soulignée par le sourire malicieux du personnage », confie Stéphane Pinta.
Un humour propre à Ribera« L’artiste livre ici l’une de ses figures les plus amusantes et les plus truculentes, une pointe d’humour parfaitement originale pour l’époque. Aucun de ses contemporains, à commencer par Caravage, n’emploiera ainsi l’humour dans ses œuvres. C’est une dimension propre à Ribera », constate Éric Turquin en insistant sur la dimension théâtrale de ce héros, duel à la fois grotesque et savant.
« De la laideur, il fait naître la beauté »Prendre une « tronie », l’une de ces « trognes » caricaturales aux faciès difformes souvent employées par les peintres hollandais des XVI
e et XVII
e siècles, pour représenter un savant est une provocation. « Comme Caravage qui se trouve lui-aussi à Rome au tout début des années 1600, Ribera est un artiste de la Contre-Réforme catholique qui cherche à capter l’attention du spectateur en lui offrant des images percutantes, au service d’un message religieux. Cet homme au physique disgracieux fait lui aussi partie de la création divine. Pour Ribera, la beauté esthétique sublimée par Raphaël et les artistes de la Renaissance italienne devient ennuyeuse et éthérée. Il préfère représenter les gens tels qu’ils sont, avec leurs défauts et tous les détails de leur anatomie. De la laideur il fait naître la beauté », étayent Éric Turquin et Stéphane Pinta avant de citer le poème Ribeira écrit par Théophile Gautier (1811-1872) en l’honneur de l’artiste, qui débute par ce vers : « Il est des cœurs épris du triste amour du laid ». Vingt ans plus tard, dans les années 1630, pour sa série des Philosophes, Ribera représentera de nouveau ces érudits sous les traits imparfaits des hommes du peuple.
Un éclairage révolutionnaire : la leçon du ténébrisme
Une composition proche de son premier ApostoladoÀ l’époque de la réalisation de ce tableau, autour des années 1610, Ribera est installé à Rome. Malgré son jeune âge, une vingtaine d’années, et ses origines espagnoles qui l’éloignent à priori des réseaux d’influence romains, l’artiste obtient une importante commande de douze tableaux représentant les apôtres : il s’agit de sa toute première série des Apostolado. « Chacune de ces toiles représente un personnage à mi-corps, comme dans notre tableau. Le format choisi, autour d’un mètre de haut, est identique, puisque
Un philosophe : l’heureux géomètre mesure un mètre de haut pour 75,5 centimètres de large », ajoute Stéphane Pinta.
Un portrait en deux jours L’expert rappelle le témoignage de Giulio Mancini (1559-1630), premier biographe de l’artiste qui fait état « d’un artiste à l’exécution rapide, capable de peindre un Saint Jérôme en deux jours seulement et un Jugement de notre Seigneur de dix figures à mi-corps en cinq jours à peine. » Stéphane Pinta ajoute : « Ribera peint extrêmement vite. Malgré sa jeunesse, il a déjà trouvé son style et il le maîtrise parfaitement. Notre tableau donne à voir l’épaisseur de sa matière crémeuse, et les énergiques coups de pinceaux du peintre. Les tons froids, gris et pâles qui entourent le personnage permettent aux tons cuivrés et acajou de ce visage ridé de mieux se détacher du fond. »
| “ Ribera peint extrêmement vite. En dépit sa jeunesse, il a déjà trouvé son style et il le maîtrise parfaitement.“ Stéphane Pinta, expert au cabinet Turquin |
Un éclairage zénithal artificiel
«Tout comme dans sa première série d’Apostolado, la lumière zénithale offre un puissant contraste avec le fond noir et neutre. Cet éclairage est caractéristique du ténébrisme qui explose alors à Rome, après les expériences initiées par Caravage », ajoute Stéphane Pinta rappelant que Ribera ira jusqu’à faire ouvrir une fenêtre dans le plafond de son atelier pour bénéficier d’une lumière directe. « Ces éclairages percutants étaient totalement révolutionnaires à l’époque, ils choquaient par leur aspect artificiel », ajoute Éric Turquin.
Précurseur dans les expérimentations sur l’éclairage
Si la probabilité que Ribera ait pu fréquenter le Caravage fait encore débat au sein des historiens d’art, il est certain que l’artiste d’origine espagnole connaissait les toiles du maître du clair-obscur. « A Rome, dans les années 1610, tout le monde allait admirer les oeuvres de Caravage », ajoute Éric Turquin. Pour l’expert, le ténébrisme de Ribera et ses expérimentations en matière d’éclairage sont particulièrement précoces. « Précurseur, il est le seul à mener ces recherches esthétiques du vivant du Caravage, bien avant ses suiveurs, dont le français Georges de La Tour qui travaillera ses jeux d’ombre et de lumière seulement à partir des années 1630, soit 20 ans après la réalisation de notre tableau. »
Vente aux enchères publique - Drouot - Salle 15
Mardi 16 juin - 14h
Exposition publique - Drouot - Salle 15
Samedi 13 juin - 11h / 19h
Lundi 15 juin - 11h / 119h